Une alternative à l’automobile: le PRT.
Le concept de Personal Rapid Transit PRT, a été présenté dans les années 1970 comme une «alternative valable à l’utilisation de l’automobile en zone urbaine à circulation dense». ARAMIS en était l’exemple français, de très haute technologie. Le PRT continue à faire rêver, alors qu’il est l’exemple parfait d’une illusion créatrice d’un objet artificiel auquel on a assigné un but hors d’atteinte en exploitation : interface entre un environnement interne porteur du rêve mais aussi de contraintes mal perçues, et un environnement externe inaccessible.
A tort ou à raison, l’automobile était perçue comme un transport porte à porte présentant l’avantage d’être «sans arrêt intermédiaire» entre une origine et une destination quelconques qui lui seraient accessibles, à toute heure. C’est bien ce que son conducteur souhaiterait faire, son rêve, qui est à peu près réalisé aux heures creuses. En réalité son véhicule doit respecter les arrêts prescrits par le code de la route, les feux rouges, et il doit subir les arrêts causés par le trafic aux heures de pointe, les embouteillages, sans compter les nuisances annexes : bruit, pollution ; et le trajet n’est pas porte à porte si l’automobiliste peine à trouver un endroit où garer sa voiture à proximité de sa destination.
Le but assigné à un PRT est de le dissuader de se servir de son automobile en zone urbaine, en lui offrant un transport accessible à des stations pas trop éloignées de ses lieux d’origine et de destination, et où il pourrait accéder à un véhicule le transportant entre ces deux stations sans arrêt intermédiaire inutile pour lui à d’autres stations.
Or l’automobile roule très bien aux heures creuses sans s’arrêter. L’implantation d’un PRT en zone urbaine se justifie s’il rend aux heures de pointe le service d’un trajet sans arrêts intermédiaires : il faudrait qu’il soit accessible à un grand nombre de points d’accès couvrant la zone à desservir, et que le temps d’attente de ce taxi automatique aux heures de pointe ne soit pas excessif.
Contraintes d’exploitation d’un PRT
Le nombre de stations d’accès est critique : c’est lui qui détermine l’utilité d’un PRT. Appelons ce nombre : s.
Le système rend un service proportionnel au nombre de points d’accès s, qui est faible pour des applications spécifiques (aéroport, parc d’attraction, etc), mais élevé pour la desserte d’une zone urbaine dense.
Le PRT conçu pour le but qui lui est assigné est réalisé par un réseau de voies reliant un nombre s de stations dans la zone à desservir, parcourues par des véhicules dont la station de destination a été fixée par le premier usager qui y a pénétré à sa station d’origine, ou qui l’a appelé s’il n’a pas trouvé de véhicule disponible.
Pour que le véhicule puisse se rendre à cette destination sans s’arrêter à des stations intermédiaires, il faut que ces stations soient placées en dérivation sur les voies de circulation, de telle sorte que le véhicule puisse by-passer les stations intermédiaires sans les traverser (Fig ).
Les véhicules lancés sur une voie s’y suivent sans arrêt intermédiaire, séparés par un intervalle temporel :
Δ secondes, supérieur à un minimum de sécurité anti-collision.
Fig. Boucle de PRT avec 4 stations en dérivation. Détail de la station (a)
Aux heures de circulation dense, un grand nombre de couples : origine-destination sont appelés, jusqu’à la totalité de ces couples, dont le nombre est : s(s-1) et si la voie de circulation est unique, elle est occupée par un peloton pouvant atteindre s(s-1) véhicules se suivant à Δ secondes au moins. L’avantage d’un transport «sans arrêt intermédiaire» est payé par divers inconvénients, dont le principal est le temps que l’usager devra attendre un véhicule disponible qui pourra atteindre, si toutes les destinations sont appelées: s(s-1)Δ secondes, et en moyenne à la moitié de ce temps.
Le temps d’attente croît en gros comme le carré du nombre des stations.
Deux solutions extrêmes :
-ou bien les stations sont reliées deux à deux par des voies en site propre pour une liaison « navette », auquel cas le temps d’attente peut être limité à Δ secondes, mais on doit construire un énorme réseau de s(s-1) voies !
-ou bien les stations sont en dérivation sur une voie unique en boucle, auquel cas le temps d’attente d’un véhicule disponible peut atteindre : s(s-1)Δ secondes.
Pour fixer les idées, imaginons que les lignes aériennes du métro parisien Etoile- Nation par Denfert et par Barbès soient remplacées par un PRT à voie double accessible à chaque station par l’un ou l’autre quai soit 50 stations en boucle avec 2 quais. Le temps d’attente aux heures de pointe d’un véhicule dont le premier occupant pourrait choisir la destination pourrait monter à 50 x49 x Δ /2 secondes, soit : 1225 Δ secondes, une à deux heures dans l’état de la technique (Δ= quelques secondes.) De plus il faudrait installer sur chaque quai de station l’équivalent de 49 abribus à la destination bien reconnaissable préprogrammée. Ou bien, pour relier les stations par des navettes en site propre il faudrait construire 2450 voies !
A ce jour, ce handicap considérable n’a été ni vérifié ni «falsifié» par l’expérience, aucun PRT avec un nombre conséquent de stations n’ayant atteint le stade d’exploitation.
Imaginons l’implantation d’un PRT de type Morgantown ou Heathrow dans une zone urbaine dense, avec s points d’accès et supposons un nombre de stations s = 20, 40 ou 60.
À l’heure de pointe s’il se présente à chaque point au moins un usager voulant aller à chacune des (s-1) autres stations, le nombre maximum de véhicules appelés sera s(s-1), soit : 390 si s = 20 ; 1560 si s=40 ; 3540 si s= 60.
Si on ne limite pas le trafic appelé, il faut faire circuler pour acheminer la demande maximale : s(s-1) véhicules formant un peloton, et le temps d’attente s(s-1) x Δ(intervalle de sécurité entre véhicules) pourra atteindre des heures.
Même si on réussit à rendre opérationnel un intervalle temporel :
Δ = 1 seconde, ce temps pourrait atteindre 7 minutes pour s= 20 ; 26 minutes pour s=40 ; une heure pour s=60.
L’usager préférerait sûrement des arrêts intermédiaires de durée inférieure. Avec plusieurs voies on diminue l’attente mais c’est plus cher, et si on voulait supprimer totalement l’attente, il faudrait: s(s-1) navettes : déjà 20 voies si s= seulement 5!
Impraticable dans tous les cas.
Ce raisonnement élémentaire et d’autres similaires limitent sévèrement le nombre de points d’accès susceptibles d’être desservis sans arrêt intermédiaire. Ils ont été publiés il y a quarante cinq ans[1] dans la Revue d’Automatique et de recherche Opérationnelle, et cette publication est reproduite dans ce blog
Notre étude, demandée par l’Institut de Recherche sur le Transport en France, et exposée dans des conférences au Transportation Research Institute aux USA, démontre qu’un système de transport guidé, unidimensionnel excepté aux stations munies d’une dérivation, donc parcouru par des véhicules formant des pelotons dont il faut attendre le passage, subit de ce fait une contrainte, qui limite à une demi-douzaine au plus le nombre de stations susceptibles d’être desservies sans arrêt intermédiaire avec un temps d’attente acceptable de trois minutes maximum.
Elle attire l’attention sur le fait que l’automobile en ville ne fait pas beaucoup mieux aux heures de pointe : c’est un système à une dimension et demie en raison de sa capacité de dépassement, en tout point d’un parcours, des autres automobiles et des «stations» aléatoires constituées par les bords des trottoirs où les véhicules se garent.
Des systèmes parfois très perfectionnés sont ainsi nommés PRT par leur promoteur, qui prétend réaliser en exploitation des performances hors d’atteinte. On parvient à les faire fonctionner au plan technique, mais la limitation de leur extension territoriale, interface entre leur environnement interne et leur environnement externe, les rendra vite incapables de rendre le service attendu d’un PRT en exploitation ; le prototype de l’ARAMIS ne pouvant assurer qu’un service omnibus a fini par être abandonné.
Deux PRT sont actuellement opérationnels : celui de Morgantown qui dessert l’université de Virginie Ouest a 5 stations ; et celui de Heathrow : le nombre de destinations intéressantes dans un très grand aéroport ne devrait guère dépasser 20, l’équivalent d’une petite ligne d’autobus. Le système de Morgantown ne fonctionne en PRT qu’en dehors des heures de pointe : l’usager choisit une destination parmi 4 en appuyant sur un bouton ; un véhicule lui est affecté au bout de 5 minutes pour cette destination. Aux heures de pointe, le système suit une route et un horaire affichés pour une demande connue. Il a atteint une disponibilité de 98,5%.
L’accueil des acteurs et du public
Une controverse technologique a bien eu lieu, dans les conditions socio-économiques rencontrées au cours des années 1960-1970 : confronté au problème évoqué, tout le gratin de l’industrie mécanique a cru en une solution technique qui au demeurant correspondait à ses intérêts, et a été pris d’une fièvre d’innovation, reposant le plus souvent sur une illusion créatrice.
Au passage on découvrait un aspect négligé, sinon ignoré, de la croissance de la population et de ses besoins. La croissance de la communication, de l’information réclame du temps et de l’espace. Quand la population concernée croît, la communication engendrée a tendance à croître à peu près comme le carré de la population : si la population triple, la communication décuple.
On retrouve le même actant multiplié : couple origine-destination activé dans diverses situations, à commencer par les embouteillages de la circulation automobile causés par un nombre probable de couples origine-destination du même ordre que le nombre des véhicules présents dans le désordre au lieu de former un peloton. Mais il en existe d’autres : ainsi le nombre de postiers pourrait croître comme le carré du nombre des boîtes aux lettres des logements de destinataires qui reçoivent du courrier postal d’un expéditeur, celui des policiers et des juges comme le carré du nombre des justiciables : agresseurs et victimes, ou adversaires s’opposant l’un à l’autre. Le nombre de ces fonctionnaires croît effectivement beaucoup plus vite que la population.
Cette controverse automobile-transports en commun perdure depuis plus d’un demi-siècle : encore aujourd’hui, on entend les mêmes arguments avancés une fois de plus par les uns et les autres, les acteurs de la controverse étant : un représentant d’association d’usagers, les journalistes, et un ou deux «experts», mais pas les constructeurs et à peine les exploitants.
Quant au public, il n’a tout simplement pas suivi les innovateurs : pis, il les a ignorés. Dans la controverse automobile-transports en commun, il se prononce en faveur de ces derniers, mais il réclame encore et toujours des autobus, des tramways, des métros, avec une station en bas de chez lui de préférence, et ne cite jamais aucun des systèmes nouveaux évoqués: il est rétro. Il a entendu parler des téléphériques et télécabines de montagne, et les a peut-être utilisés. Le public exprime des besoins, des aspirations, il apparaît comme dépourvu d’imagination technique. Il n’a eu l’occasion d’utiliser que très peu de systèmes innovants, qui ont atteint le stade de l’exploitation et transporté un vrai public. Alors comment prendre en compte les usagers comme acteurs de la sociologie des controverses suscitées par ces systèmes de transport nouveaux mais délaissés, à moins de recueillir des témoignages sur ceux qui ont été utilisés au moins pendant quelque temps, ici et là à travers le monde ? Cela nous incite à décrire au moins l’attitude des acteurs dont nous avons été témoins.
Le public ne s’intéresse à l’infrastructure que si elle est source d’inconfort. Comparant les transports de personnes présentés à l’automobile, il ne perçoit pas vraiment cette dernière comme un moyen de transport sans arrêt intermédiaire, mais comme un véhicule où l’usager voyage seul, ou en compagnie de deux ou trois personnes qu’il connaît, et se dirige là où il veut aller, avec la possibilité de changer d’avis en route.
Si son GPS l’informe qu’une autolib est disponible sur son parcours projeté, et une place d’autolib libre non loin de sa destination, il sera tenté de garer sa voiture pour prendre l’autolib sans se soucier de sa rupture de charge.
Par comparaison les petits véhicules des systèmes nouveaux où il voyagerait avec deux ou trois inconnus sont plus inquiétants à ses yeux : il trouve et accepte une telle proximité dans l’ascenseur, dans les télécabines fréquentées par des skieurs, mais sur une distance très courte. Il se montre réticent à l’idée d’un voyage avec des inconnus sur une distance «automobile». S’il prend les transports en commun, il voyage avec des gens plus nombreux, dont il ne sait rien si ce n’est qu’ils font un bout de chemin avec lui, et il croit que le véhicule est géré comme un Établissement Recevant du Public (E.R.P.), astreint à une réglementation assurant la sécurité, mais ce n’est le cas que pour les bateaux.
Le public ignore l’existence des People Movers et des PRT, qui font l’objet de très modestes applications, mais dont il ne voit pas bien l’utilité, si ce n’est comme matière à rêver : aux dernières nouvelles en France un PRT autour du lac d’Annecy !
Nous ne savons pas encore si l’autolib est vraiment adoptée. L’automobile à pilotage automatique doit encore faire ses preuves: le jour où un autolib à pilotage automatique apparaîtra sur le marché, il réalisera enfin le rêve du Personal Rapid Transit, sur site banalisé au surplus ! Il y a des avancées techniques, l’idée de base est que le conducteur est le maillon faible, qu’on ne peut que gagner en sécurité, en régularité de la circulation en le remplaçant par un robot, et il est possible que ce ne soit pas une illusion ; la réponse aux prescriptions du code de la route peut être automatisée, excepté peut-être les réponses à des initiatives humaines, comme une traversée intempestive de la chaussée ou les gestes d’un agent de la circulation; on évite pour l’instant la circulation urbaine et on s’en tient aux autoroutes ; mais le plus important sera l’accueil du public et la réaction des usagers, dont on ne sait à peu près rien en 2020.
Suite => Enseignements sur le transport collectif
[1] KADOSCH M et GIRAUD F. : Limites d’emploi imposées par la contrainte de sélectivité aux systèmes de transport guidé en site propre, in RAIRO Recherche Opérationnelle, vol8, V2(1974)p. 63-73.
[2] Cf: Qu’est-ce qu’un transport des personnes? in: Problèmes techniques.
[3] Cf: L’Aérotrain:les embûches , in: Problèmes techniques.
[4] Cf: Enseignements sur le transport collectif, in: Problèmes techniques.