Genèse de la Fluidique
Dans le sillage de la révolution cybernétique, de nombreuses applications furent proposées dans le nouveau domaine prédominant du contrôle d’un signal, de la régulation par feedback, des servomécanismes. Peu après l’apparition en 1948 du transistor, composant électronique solide qui détrôna les lampes triodes pour amplifier un signal, et les lampes diodes pour inverser le sens d’un courant électrique, on chercha pendant quelque temps des solutions rivales de ce modèle triomphant en essayant de réaliser une version pneumatique de ces fonctions, utilisant des courants d’air dans des canaux plutôt que d’électrons dans un solide semi-conducteur.
Des micro-déviateurs de courant d’air par obstacle ou vanne furent proposés, puis les équivalents du déviateur par soufflage d’air, sans aucune pièce mobile : les inventeurs américains de ces derniers les ont spontanément qualifiés de pure fluid amplifiers, et de pure fluid flip-flop [1], pour se démarquer des amplificateurs à déviation de fluide par des vannes mobiles, et ont longtemps veillé à ce que cette pureté ne soit pas contaminée ! L’absence de pièces mobiles, illusion créatrice originelle a été au surplus revendiquée comme source de pureté, leur présence étant source d’impureté … Après de nombreux avatars dont l’oxymore aberrant de solid-state pure fluid amplifier, cette filière d’automatismes a reçu le nom de fluidique.
Les promoteurs de la fluidique savaient que de toutes façons leur signal allant à la vitesse du son ne pouvait rivaliser avec un signal allant à la vitesse de la lumière, et visaient des applications simples. Réciproquement, à notre connaissance, le souci de pureté n’a pas été un moteur de recherche important pour le perfectionnement des transistors eux-mêmes, dont le développement fulgurant balayant toute concurrence est dû à son extraordinaire capacité de miniaturisation, que la fluidique était incapable d’imiter : un nombre énorme de composants peut être rassemblé sur un espace réduit, autorisant la construction d’architectures très complexes.
En fin de compte l’absence de pièces mobiles comme objectif d’invention s’est révélée comme un mythe abducteur, guidant la création, mais illusoire dans le domaine des servo-mécanismes pour la production d’un signal : il était évident que le fluide déviateur était aussi mobile que les pièces mobiles solides qu’il remplace, et n’en diffèrait que parce qu’il était dans une phase gazeuse ou liquide « qui ne se casse pas » : c’était sa seule vertu.
À vrai dire, ce n’est pas dans le choix du « fluide » : air, eau, feu, électrons, CO2 ou bile noire, que résidait l’originalité des dispositifs proposés, mais plutôt dans la capacité d’intelligence artificielle communicable à un flux de n’importe quel fluide par des canaux de forme appropriée et dont les parois de consistance bien solide, qu’elles soient fixes ou non, seraient les « contours » agissants.
Suite => Du pulsoréacteur au respirateur artificiel
[1] Cf articles Fluidics, et Microfluidics, in Wikipedia, Internet. Les inventeurs sont Billy Horton et R. E Bowles, de Harry Diamond Labs.